samedi 24 avril 2010

Artistes, ploucs et prophètes

À la question de savoir si je suis un artiste, je réponds oui, sans hésiter. Après tout, même si je ne suis pas que cela, la création demeure mon activité principale. Et la bande dessinée n’a pas à souffrir de complexes par rapport aux autres arts dits plus « nobles».
Pourtant, lorsque je regarde certaines œuvres, lorsque j’entends ou lis les nébuleuses réflexions sur l’Art émises par certains créateurs ou exégètes, j’ai un peu l’impression de n’être qu’un vulgaire plouc, un inculte, un artisan tout au plus, incapable de comprendre quoi que ce soit à la Mission Sacrée de l’Artiste. Parfois, dans les moments de doute, je me demande si cette chose qu’on porte aux nues comme étant l’accomplissement suprême de l’esprit humain ne serait pas au fond qu’une gigantesque imposture, parfaitement futile et n’apportant rien à personne, ou si peu.
En fait, certains artistes sont de simples amuseurs, d’autres sont des éveilleurs de conscience, des prophètes. Il y a assez de place dans ce monde pour les deux. Sauf que les véritables prophètes sont une espèce rarissime et les faux sont légion.

mardi 20 avril 2010

Et ensuite ?

Cet album sera bien terminé un jour. Il me reste un peu moins de 50 pages à dessiner. Ça ne se fera pas tout seul, mais, si je peux accélérer un peu cet été, je finirai par voir la lumière au bout du tunnel.

Et ensuite ? Qui sait ?

La BD étant une drogue dure, j’aurai probablement besoin d’un nouveau projet et ce, même si j’ai moins d’années devant moi que derrière. Je compte enseigner encore quelques années, mais pas jusqu’à 70 ans tout de même, alors que, pour le dessin, je n’en vois pas la fin.

En réfléchissant à mes projets futurs, trois options me viennent à l’esprit.


Première option : Compléter «Élixir X», qui deviendrait le neuvième album de la série «Red Ketchup». Il y manque 22 pages, soit exactement la moitié. Cela me ferait tout de même un drôle d’effet de reprendre au vol une histoire interrompue en 1995. Tout ça bien sûr à condition que l’intérêt pour la série actuellement en réédition à La Pastèque le justifie et à condition que Mr. Fournienstein veuille bien y mettre un peu du sien. Comme il est moins mort que Franz Kafka, sa contribution active comme coscénariste est essentielle.



Deuxième option : Si j’ai encore envie de me replonger dans Kafka, je pourrais poursuivre dans la lignée du «Nouvel Avocat» (voir dans ce blog le message du 7 juin 2009) en réalisant de courtes histoires inspirées de ses récits animaliers. Il y en a plusieurs, qui mettent en scène, en plus du cheval avocat, une souris cantatrice, des chacals bavards, un singe érudit, etc. J’exclurais toutefois «La Métamorphose». C’est trop long, trop connu et, en plus, Peter Kuper et Robert Crumb (en abrégé dans «Kafka for Beginners»), en ont fait l’un et l’autre l’adaptation, et de brillante façon.



Troisième option : C’est bien joli d’écrire un scénario en collaboration ou encore d’adapter l’œuvre d’un auteur célèbre et décédé, mais il serait peut-être temps pour moi de produire seul un récit totalement inédit, chose que je n’ai pas faite depuis fort longtemps. L’écriture ne me fait pas peur, c’est le choix d’un sujet qui me paralyse. J’ai sûrement des choses à dire, mais je ne sais pas lesquelles. La BD «de genre» ne me dit rien, l’autobiographie pas vraiment.

Alors, je me suis dit : pourquoi ne pas y aller sans sujet prédéfini, sans synopsis, en laissant l’histoire apparaître au fur et à mesure ?

Cela ne veut pas dire tomber dans la pure improvisation, en faisant n’importe quoi. Tout d’abord, le dessin serait soigneusement planifié, de l’esquisse préliminaire au rendu final, comme je fais toujours. Et le récit n’aurait pas à être incohérent ou confus. Il s’agit de le construire logiquement, en enchaînant case après case, page après page, mais sans savoir nécessairement ce qui vient après. Ce qui rend une histoire intelligible, ce n’est pas le plan d’ensemble, mais le fil du récit, la succession naturelle des événements, un peu à la manière d’un «road movie». Le roman «L’Amérique» n’est pas construit autrement.

Le chemin peut être tortueux, nous emmener n’importe où, du moment qu’il est continu, sans rupture. J’ai toujours préféré d’ailleurs ce genre d’histoires à celles où tout semble planifié d’avance en vue du dénouement final. Lorsque Chris Ware a entrepris son «Jimmy Corrigan», il ne se doutait pas où l’aventure allait le mener, ni qu’il allait produire un roman graphique de 380 pages. Et pourtant, l’album terminé a une force et une cohésion stupéfiantes.

J’aime les histoires arborescentes, les récits à tiroirs, comme les Contes des Mille et une Nuits, dans lesquels Schéhérazade raconte à son mari des histoires dont les personnages deviennent à leur tour narrateurs d’autres histoires, qui contiennent elles-mêmes de nouvelles histoires, et ainsi de suite. Ce procédé était poussé à la limite dans un film polonais «Le manuscrit trouvé à Saragosse», que j’ai vu il y a bien des années. Je pense aussi au «Fantôme de la Liberté», de Luis Buñuel, dans lesquels les récits s’enchaînent les uns aux autres d’une manière totalement surréaliste, mais parfaitement logique.

C’est un peu dans cette direction que j’aimerais aller en bande dessinée, sans trop savoir ce qu’il y a au bout, en faisant simplement confiance à mes moyens. J’aurais sans doute plus de plaisir à produire un album, mais aussi plus de doutes et de questionnements en cours de route. Tout ce que je peux dire pour l’instant, c’est que ce serait probablement une histoire contemporaine, mais avec des ramifications dans le passé.

La question est de savoir quoi mettre à la première case.

vendredi 16 avril 2010

Carnets de croquis ou pas

Plusieurs dessinateurs de BD, et non des moindres, traînent toujours leur carnet de croquis dans lequel ils enregistrent tout ce qui leur passe par la tête ou sous les yeux. C’est sûrement un exercice salutaire, une excellente gymnastique, une source d’inspiration et une matière première pour l’artiste. Mais il faut comprendre qu’il y a dessin et dessin : les croquis n’ont en fait que très peu à voir avec le dessin de cases de BD, qui tient plus du langage codé que de l’expression spontanée. Pour emprunter une théorie à la mode, je dirais que les croquis relèvent du côté droit du cerveau, alors que les cases relèvent du côté gauche.

Pour ma part, c’est une habitude que je n’ai pas. Je devrais peut-être. À une certaine époque, le moindre prétexte était bon pour dessiner : je griffonnais dans mes cahiers de notes en classe, sur les napperons de restaurant, n’importe où. Mais c’était il y a très longtemps.

Je n’ai jamais été très porté par ailleurs sur le dessin d’après nature, sauf en cas d’absolue nécessité. Lorsque je partais en vacances, il m’arrivait d’apporter avec moi crayons et cahiers, mais ils restaient invariablement au fond de ma valise.

Peut-être que l’activité de dessiner pour dessiner ne me procure pas suffisamment de plaisir. Je suis comme cet auteur qui disait détester écrire, mais adorer avoir écrit. Pour que mon cerveau se mette en mode dessin, j’ai besoin d’un but précis, d’un problème à résoudre, d’une solution à trouver, lesquels découlent d’un projet, d’une histoire à mettre en cases (ou d’une illustration à livrer). Ce n’est que dans ces conditions que je me mets à explorer, à griffonner, à accumuler esquisses et essais, que je jette généralement au panier une fois la case terminée, parce qu’ils ne représentent alors plus pour moi la moindre valeur.



La faculté de dessiner est un muscle qui a besoin d’être entraîné. Ce n’est pas sans raison qu’on encourage les étudiants à dessiner et dessiner sans cesse et à noircir des pages de croquis. C’est on ne peut plus formateur et productif. Je devrais peut-être m’y mettre moi aussi si je veux continuer de progresser – on n’arrête jamais d’apprendre – sauf que je ne suis pas sûr que je me mettrais de cette façon à mieux dessiner.

Plus facilement peut-être.

vendredi 9 avril 2010

Essais couleur pour cases en noir et blanc

Dans la série «choses qu’on ne verra jamais dans l’album», j’ai mis en couleurs, pour les besoins d’un cours, cette paire de cases, de deux façons différentes. La première version, toute en aplats, n’est en fait que l’ébauche de la seconde, mais je ne sais pas vraiment laquelle des deux je choisirais. De toute façon, je n’aurai pas à répondre à cette question, puisque l’album sera en noir et blanc.

C’est encore ce que je préfère.

samedi 3 avril 2010

Solution du jeu etc.

Voici donc la solution du jeu. Nous avons deux gagnants ex-aequo : Élise Vézina-Easey et Marc-Antoine Poulin. Félicitations.

Le jeu n’était pas si difficile, mais comportait certaines ambiguïtés et la solution n’allait pas de soi. Les deux petits poteaux au sommet de l’armoire et la note de musique supprimée ne comptaient que pour un, tout comme les deux panneaux gris sur la boîte du phonographe. La ligne du dessus de la table de maquillage a simplement été redressée un peu. Ce n’était pas très visible, mais je devais de toute façon corriger ce petit détail qui m’agaçait.

On constate qu’on arrive ainsi à treize erreurs au lieu de onze. C’est qu’il y avait deux modifications faites antérieurement que j’avais oubliées : les panneaux gris sur le phonographe et la ligne d’ombre sur le mur derrière le miroir. Voilà.

Je ne passe tout de même pas mes journées à concocter des jeux débiles et à niaiser sur Facebook, je travaille aussi à l’album, du moins quand les cours m’en laissent le temps. Ça avance. Au ralenti, mais ça avance. L’ennui, c’est que, ces jours-ci, je n’ai pas grand-chose de neuf à montrer et que j’ai un peu l’impression de faire du surplace. Présentement, en fait, j’ai mis de côté les découpages graphiques (page 114) et les crayonnés (page 104), pour me rattraper sur l’encrage (page 97) et les tons de gris (page 82). Ce sont des étapes obligées, mais ce ne sont pas les plus excitantes.


L’application des gris comporte parfois une part de créativité, mais on est ici dans une longue séquence à l’intérieur d’une même pièce ; tout est prévu et le travail est purement mécanique.

L’encrage, lui, demande toujours un peu d’interprétation et de style. Je compare cela à un musicien qui exécute une partition. Mais, comme mes crayonnés sont généralement très précis, la part d’interprétation demeure assez réduite. Je pourrais, pour éviter l’ennui et rendre les choses plus stimulantes, faire comme tous les Johann Sfar de ce monde et travailler à l’instinct, sans crayonné ou presque. Mais, outre le fait que je ne pourrais pas me permettre d’opérer un changement aussi radical au beau milieu d’un album, ce n’est pas vraiment mon genre. Sfar est sûrement un grand conteur, son dessin est parfois génial mais, au total, ses planches ressemblent toujours à des carnets de croquis. Intéressant, mais pas évident à lire.

J’ai quand même essayé de me livrer à l’exercice, en encrant directement sur une feuille vierge un strip de trois cases, en me basant sur mon esquisse sommaire au crayon. J’ai utilisé, plutôt que le pinceau et l’encre de Chine, un stylo-bille, qui se prête mieux à ce genre de croquis rapide. En rouge, parce que c’est plus cool. J’ai mis au-dessus l’esquisse de départ.

Le résultat n’est pas si mal, mais j’aurais sans doute de la difficulté à adapter cette méthode à des cases plus compliquées, avec mise en scène et décors élaborés.