lundi 7 mars 2011

Kafka et les autres

J’ai songé à adapter «L’Amérique» en bande dessinée il y a plus de 35 ans. À l’époque, le roman m’avait beaucoup marqué. J’avais lu aussi quelque part que Federico Fellini envisageait de le porter à l’écran, ce qui m’avait donné à penser qu’on pouvait en tirer quelque chose. Fellini n’a jamais fait le film, mais il a quand même utilisé l’idée dans «Intervista», fiction autobiographique le montrant en train de tourner «L’Amérique».

À l’époque, je croyais sans doute être le seul à avoir cette idée. J’ai constaté depuis que Kafka, malgré son côté supposément grave et cérébral, voire sinistre, se prêtait bien à la bande dessinée. Ses écrits sont très visuels et peuvent parfois aussi être très drôles (à condition de savoir apprécier son genre d’humour).

Je fais ici un petit recensement des adaptations de Kafka en BD. Ce n’est qu’un aperçu. En fait, je n’ai pas lu tous ces albums. Je suis très doué pour parler des livres que je n’ai pas lus et des films que je n’ai pas vus, et pour m’en faire une opinion. On a beau avoir l’esprit ouvert, on n’a pas le choix : la vie est courte et on ne peut pas tout voir. Il faut faire des choix et, pour cela, développer un sens critique a priori, aussi injuste et expéditif soit-il. Autrement, on n’en sort pas.

Cela dit, allons-y avec la petite anthologie :

En 2003, Olivier Deprez a adapté «Le Château» de Kafka sous forme de BD muette, réalisée à la gravure sur bois. Les dessins dégagent une atmosphère lourde et sombre, un peu à la Edvard Munch. C’est le Kafka sérieux et cérébral, sans la moindre trace d’humour. En autant que je puisse en juger, c’est tout à fait nul du point de vue narratif : impossible de suivre le récit si on ne connaît pas le roman. De la BD artistique. Très belle peut-être, mais sans intérêt pour le plouc que je suis.



«Le Procès» a été adapté en 2006 par Céka au scénario et Clod au dessin. Un traitement léger, proche des livres pour enfants, plutôt agréable. Mais 46 pages pour résumer un roman de cette envergure, c’est un peu bref.



Chantal Montellier a livré sa version du même roman, en 2009, sur un scénario de David Zane Mairowitz. Raffiné, mais un peu froid. Colle un peu trop au texte.



La nouvelle «Dans la Colonie Pénitentiaire» a fait l’objet en 2007 d’une adaptation, de Maël (dessin) et Ricard (scénario). Intéressant, si j’en juge par le peu que j’ai vu.



Toujours d’après Kafka, Peter Kuper a publié en 1995 «Give it up! and other stories», un recueil de courtes nouvelles et en 2003 «La Métamorphose», d’après la célèbre longue nouvelle du même nom. Je pourrais parler un peu plus de ces deux-là, car, contrairement aux précédents, je les ai lus au complet. Dans un style de dessin à la carte à gratter, rappelant la gravure sur bois, artsy mais en même temps cartoonesque, l’auteur se livre à de remarquables expériences de mise en page.

On peut aussi voir la version web de «La Métamorphose» à l’adresse suivante :

http://www.randomhouse.com/crown/metamorphosis/




J’ai lu aussi «Kafka», (intitulé également «Kafka for beginners») de David Zane Mairowitz (encore lui) et R.Crumb, publié en 1993. Étant un inconditionnel de Crumb, je ne pouvais pas passer à côté.

Il ne s’agit pas en fait d’un album de BD, mais plutôt d’une étude littéraire et biographique rédigée par Mairowitz et abondamment illustrée par Crumb, qui y a inclus plusieurs récits en BD résumant quelques-unes des œuvres de Kafka, dont notamment «L’Amérique», sur huit pages.




À propos de «L’Amérique», qui m’intéresse tout particulièrement, il y a bien sûr l’adaptation en trois tomes (2006, 2007 et 2008) par Robert Cara au scénario et Daniel Casanave au dessin. Le tout fait environ 180 pages, tout juste un peu plus que mon futur album (qui devrait sortir, lui, en un seul morceau).



Je connaissais et appréciais déjà le travail de Casanave, qui s’est spécialisé dans l’adaptation en BD d’œuvres célèbres («Ubu-Roi», «L’Histoire du Soldat», «Macbeth»).

Lorsque j’ai appris qu’il s’attaquait aussi à «L’Amérique», j’ai été contrarié de voir qu’on piétinait mes plates-bandes, puisque ma propre adaptation était en chantier depuis un an. Trop tard pour laisser tomber. Comme il travaille beaucoup plus vite que moi, il a eu le temps de sortir les trois tomes avant que je ne termine mon album. Quand celui-ci paraîtra, à la fin de cette année ou au début de l’an prochain (j’espère), la trilogie concurrente appartiendra déjà à l’histoire ancienne.

N’eût été de mon projet, je me serais peut-être procuré les trois albums, car j’aime bien le travail de Casanave. Mais, pour éviter d’être perturbé, j’ai décidé de m’en tenir loin. Je n’ai pas pu résister toutefois à la tentation d’aller voir sur Internet, où j’ai pu en lire quelques extraits substantiels. C’est forcément très différent de ce que je fais et, par certains côtés très éloigné. Pourtant, il y a quelque chose de commun dans l’approche, dans cette volonté de s’affranchir du texte littéraire tout en respectant le récit, d’utiliser un langage qui n’appartienne qu’à la BD et qui fait reposer la narration sur l’image, la mise en scène et les dialogues, en éliminant le plus possible les récitatifs. J’avais le même credo au départ.


Le roman a également été visité en 2005 par l’Argentin Raúl Ponce, qui a tiré de la partie centrale du chapitre VII un album qu’il a intitulé «Brunelda» et que j’ai découvert récemment par hasard sur Internet. C’est en espagnol, ça fait 71 pages et on peut le lire au complet en format PDF à l’adresse :

http://www.arteraulponce.com.ar/dibujos.htm

Bon dessin expressionniste, bien que souvent un peu confus, qui sert plus à illustrer et accompagner le texte qu’à raconter l’histoire. Je l’ai regardé avec un certain intérêt, même si ce n’est pas mon style de BD.




Je constate que la plupart des dessinateurs qui ont abordé Kafka avaient un parti-pris plus ou moins «artistique», sérieux, cérébral et avant-gardiste, chose finalement assez prévisible. Ce qui serait vraiment audacieux serait peut-être de le faire dans le style des «Archie comics» ...



Pour finir, j’ai fait une sélection de quelques couvertures de diverses éditions du roman. Celle en bas à gauche, qui est signée Jean-Michel Folon, orne mon exemplaire personnel, que j’ai bien dû lire 200 fois, ce qui explique son degré d’usure considérable. La dernière est de Jacques Tardi. Il ne manquerait plus qu’il décide lui aussi d’adapter le roman en BD…