Comment aurait dû se terminer le roman inachevé
«L’Amérique»? Kafka a toujours laissé planer le doute quant à son dénouement
final, laissant entendre tour à tour que son héros Karl Rossmann trouverait
enfin au Théâtre de la Nature
d’Oklahoma une profession, la liberté, un soutien et sa famille, ou au
contraire qu’il finirait ses jours ignominieusement, exécuté comme un criminel
(comme plus tard Joseph K. dans «Le Procès»).
Je n’ai pas l’intention de trancher et de donner une réponse
dans mon adaptation. Je peux cependant, tout en laissant la question ouverte,
chercher des pistes et avancer des hypothèses.
On pourrait imaginer que Karl est déjà mort dans ce dernier chapitre, le Théâtre de la Nature devenant ainsi une
allégorie de l’au-delà. Le fait que les candidats à l’embauche soient
accueillis à l’entrée par des anges jouant de la trompette, comme au Jugement
Dernier, a une portée symbolique évidente.
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Mais il y a d’autres indices, plus subtils,
d’autres allusions macabres. À un moment donné, on montre aux nouveaux employés
une série de photos du Théâtre. L’une d’entre elles représente la loge
présidentielle, que Kafka décrit avec précision. La loge est décorée de
portraits d’anciens présidents. L’un d’entre eux a «... un nez extraordinairement
droit, des lèvres épaisses et des yeux fixes sous des paupières retombantes.»,
description qui semble bien s’appliquer à Abraham Lincoln.
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Or, on sait que Lincoln est mort assassiné au théâtre, dans
la loge présidentielle, justement. Pour cette raison, j’ai choisi, m’inspirant
pour cela de documents d’époque, de représenter la scène quelques secondes
avant l’assassinat, au moment où John Wilkes Booth, debout derrière le Président,
s’apprête à sortir son arme. L’image peut paraître anodine au premier coup
d’œil, mais la Mort
plane...
Le nom du théâtre, maintenant. Pourquoi diable le plus grand
théâtre du Monde irait-il se loger en Oklahoma, petit état rural et reculé du Sud
?
Il est vrai qu’avec Kafka, on n’en est pas à une
invraisemblance près. Il semble que l’idée lui soit venue à la lecture d’un
article dans un magazine, article intitulé «Idyl
in Oklahoma», titre tristement
ironique, puisqu’on y relatait une séance de lynchage en Oklahoma.
On sait que la chose était relativement courante à l’époque
dans les états du Sud et que les condamnés étaient presque toujours des Noirs.
Il en est question dans la chanson «Strange
Fruit», interprétée de façon bouleversante par la grande Billie Holiday.
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http://www.youtube.com/watch?v=wHGAMjwr_j8&feature=related
Pour en revenir à notre histoire, on se souviendra peut-être
que Karl Rossmann le paria, l’éternel exclu, dépouillé de son identité après
avoir dégringolé l’échelle sociale, s’est engagé au Théâtre de la Nature sous le nom de
«Negro», ce qui pourrait laisser entendre que ce serait lui, le lynché de
l’Idylle en Oklahoma.
Je l’ai donc représenté ainsi. Comme il s’agit d’une image
purement hypothétique, ne faisant pas partie du récit comme tel, elle ne fera
pas partie de l’album. Tout de même, ça m’a fait un drôle d’effet de le
dessiner mort.
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