Une des parties intéressantes du travail de dessinateur de BD est la création de personnages. Comme ces personnages sont destinés à être répétés sur plusieurs cases, à vivre et à jouer, il s’agit beaucoup d’un travail de casting, comme au théâtre ou au cinéma. J’ai moi-même joué au théâtre, comme bien d’autres, lorsque j’étais étudiant. Je crois que j’étais assez mauvais acteur, mais j’en ai tout de même gardé quelque chose dans ma bande dessinée.
Dans le cas d’une adaptation, comme l’Amérique ou le Disparu, le point de départ des personnages est déjà dans le roman. Mais les descriptions sont parfois assez vagues et laissent place à l’interprétation, donnant une grande liberté au dessinateur.
On peut s’inspirer de tout et de rien quand on crée un personnage : célébrités, connaissances personnelles, visages anonyme, etc. C’est un processus quasi inconscient : un visage, un type physique nous apparaît et commence à vivre quand on le met sur le papier. D’ailleurs, même si je fais généralement des croquis préparatoires pour les personnages importants, ce n’est que lorsqu’ils sont introduits dans la BD qu’ils prennent leur identité définitive.
Je me suis amusé à trouver des ressemblances aux principaux personnages de mon album. Comprenons-nous bien : il ne s’agit pas de modèles, tout au plus de sources d’inspiration, parfois assez lointaines. Dans bien des cas, même, je n’ai trouvé la ressemblance qu’après coup.
J’avais déjà noté une parenté au chapitre I entre l’oncle Jacob et Charlie Chaplin, non sous les traits du tramp, mais dans des personnages postérieurs, comme dans Limelight ou Monsieur Verdoux.
Pour rester dans une veine chaplinesque, le personnage du chauffeur (toujours dans le chapitre I), avec son physique d’ours grizzly, me rappelle les taupins de comédie du cinéma muet, dont l’exemple le plus typique serait Mack Swain, qui tenait dans The Gold Rush le rôle de Big Jim McKay. Il aurait aussi un petit côté Bluto, dans Popeye.
La plupart de mes références cinématographiques sont assez archaïques, allez savoir pourquoi, peut-être parce qu’elles sont ancrées plus profondément dans ma mémoire, peut-être aussi parce que le cadre de mon récit se situe au début du siècle dernier.
J’ai ainsi trouvé une ressemblance entre M.Pollunder et l’acteur anglais Robert Morley (1908 -1992).
Pour sa fille Clara, beauté pétillante, superficielle, capricieuse et insupportable, les exemples ne manquent pas, surtout dans le showbiz. J’ai songé à une autre Clara, Clara Bow, la "It" girl du cinéma américain des années 20. Plus près de nous, il y aurait peut-être Britney Spears. Et Errol Flynn dans le rôle de Mack, son fiancé, fils de millionnaire oisif et athlétique.
Le personnage de Green aurait peut-être quelque chose de Robert deNiro. De loin, avec une moustache et de grandes oreilles en plus.
Pour Robinson, une image s’est imposée à moi, celle d’un ami de longue date dont j’ai perdu la trace depuis des années. Je n’ai pas de photo. Pour son compère Delamarche, peut-être un jeune Jean-Paul Belmondo, avec son air de Français canaille et un peu baveux.
Grete Mitelsbach, la cuisinière en chef, me ferait penser à Marianne Sägebrecht, la grosse Allemande du film Bagdad Café. Avec une touche de Pauline Marois. Pour Thérèse, aucune vedette connue ne me vient à l’esprit, mais il me semble avoir vu plein de filles qui lui ressemblaient. Il y aurait peut-être une de mes anciennes étudiantes, elle se reconnaîtra peut-être. Quant à Rennell, le groom noceur, il est inspiré d’un autre de mes amis, mort en 1980.
M.Isbary, gérant de l’hôtel, serait une sorte de croisement entre Bela Lugosi et Kevin Spacey.
Féodor, le portier en chef, est un être assez répugnant, un ogre, qui n’a pas grand-chose d’humain. Aussi, il n’est pas étonnant que je lui trouve des ressemblances avec des personnages dessinés plutôt que des personnes réelles. Il aurait, Dieu sait pourquoi, des affinités avec l’illustre Red Ketchup et plus encore avec le père de celui-ci, l’immonde Stanislas Kecziupelski, dit Stanley Ketchup.
Il me reste à concevoir les personnages des derniers chapitres de l’album, dont, en particulier, Brunelda et l’étudiant.
Brunelda est une cantatrice divorcée, qui vit avec son amant Delamarche et son valet Robinson dans un petit logement bordélique au dernier étage d’un tenement house des faubourgs. Karl se verra forcé de se réfugier chez elle après avoir été renvoyé de l’hôtel. C’est une femme corpulente (elle deviendra éventuellement énorme), comme le sont bon nombre de chanteuses d’opéra et comme la cuisinière en chef, mais elle est loin d’être aussi aimable que cette dernière. Brunelda est une diva au caractère exécrable (une «grosse vache», aux dires de Robinson), capricieuse, colérique, grotesque mais néanmoins sexy, avec une certaine classe malgré tout. Enfin, c’est ainsi que je la vois. Si elle n’était qu’une grosse vache, elle serait nettement moins intéressante.
Je n’ai plus qu’à lui trouver un visage, en faisant se recouper des sources d’inspiration très diverses. J’ai commencé par ramasser quelques photos de célèbres cantatrices.
Les chanteuses d’opéra ne se ressemblent pas toutes, bien entendu. En fait, contrairement à ce que beaucoup croient, elles ne sont même pas toujours grosses. Dans la sélection ci-dessus, on reconnaît, dans l’ordre habituel, Maria Callas, Renata Tebaldi, qui n’ont pas l’air commode mais sont tout de même assez jolies Montserrat Caballé et Joan Sutherland, qui le sont un peu moins, Bianca Castafiore, Birgit Nilsson et Florence Foster Jenkins, personnage assez particulier dont j’ignorais jusqu’ici l’existence. Contrairement aux précédentes, qui étaient de véritables artistes, elle a fait carrière grâce à une prodigieuse absence de talent. Son interprétation de
En cherchant ailleurs des sources d’inspiration pour le personnage de Brunelda, j’ai retenu celui de Pearl, tiré de mon album Red Ketchup contre Elvis Presley (à paraître aux éditions de
J’ai également cherché des photos de la Saraghina.
Dans le film Huit et demi de Fellini, la Saraghina est une pute à moitié folle qui vit dans un bunker abandonné sur la plage et qui fait fantasmer les petits garçons avec son numéro de rumba (allez voir l’extrait sur Youtube, c’est quelque chose).
En fait, Brunelda est un personnage tout à fait fellinien. C’est peut-être à cause d’elle que le cinéaste songeait à adapter L’Amérique au cinéma. Il ne l’a jamais fait, mais ce projet a servi de point de départ à son auto-portrait cinématographique Intervista, qui le montre en train de tourner l’Amérique.
L’appartement voisin de celui de Brunelda est habité par un étudiant qui travaille de jour dans un magasin et poursuit de nuit des études sans fin. Il échange avec Karl des propos désabusés sur l’inutilité de l’existence. Ils deviendront néanmoins d’excellents amis.
Pour le casting de l’étudiant, une idée s’est imposée à moi comme une évidence : j’ai choisi de le représenter sous les traits de Franz Kafka lui-même. Je crois que c’est tout à fait approprié.
Et Karl ? De qui me suis-je inspiré pour le personnage principal ?
Je ne sais pas exactement, mais, curieusement et même si ce n’était pas planifié au départ, je me reconnais parfois en lui quand j’étais adolescent.
Clara Bow ! Ta Clara est encore plus belle !
RépondreSupprimerSuper intéressant ce papier, Réal !
Ton Robinson a un ptit peut de Ron Howard, époque Happy Days.
Tu avais une gueule de Beatles dis donc !